C'est la Jungle, baby
Le torse maculé de sueur, le gars essuya le démonte-pneu sur le bas de son débardeur. Un débardeur qui avait dû, il y a de longues années, être gris ; mais qui avait viré au brun rougeâtre depuis pas mal de temps, avec de vilaines tâches de cervelle en travers…
11eme Commandement:tu ne décapsuleras point ton prochain |
Ses biceps étaient crispés par l’effort ; la grimace affichée sur son visage, aussi engageante que celle d’un loup-garou un soir de pleine lune. L’expression même de la bestialité à l’état brut –voire de la brutalité la plus bestiale- se lisait dans tout son être : de sa démarche chaloupée, tel un Snoop Doggy Dog défoncé à la coke concourant pour le marathon de New-York en plein été, jusqu’à l’odeur corporelle disons…plus qu’acidulée qui le suivait, mieux le précédait, non en fait réellement l’annonçait, comme avec fanfare et trompettes à la populace terrifiée qui ne songeait alors plus qu’à fuir…Une odeur de bœuf musqué, de cheval en plein effort, de taureau en pleine féria, libéré dans les ruelles de quelque ville méridionale, la bave aux lèvres et la fièvre aux yeux.
La foule n’avait alors plus qu’un choix, pour survivre, plus qu’une obsession immédiate, à la vue du prototype qui lui fonçait dessus : mettre le plus de distance entre elle –les agneaux (pas forcément de Pâques), les moutons (pas obligatoirement de Panurge, quoique), en bref le bétail– et lui –le bourreau, le boucher, le finisseur, le Fuckin’ Warrior, quoi.
Car se faire rattraper par ça, signifiait la mort à plus ou moins courte échéance. Plus ou moins douloureuse ; pas nécessairement rapide, d’ailleurs ; pas forcément agréable, surtout. En cette fin d' année 2025, après le Grand Collapsus Global, pour chacun il n'était question que de survie : survie du plus fort, du plus rapide, du plus débrouillard... Les Fuckin' Warriors avaient émergé de ce chaos par la force des choses : rapides, puissants, invulnérables aux sentiments, ils représentaient le rêve ultime d'une caste aujourd'hui disparue de la surface de la terre : les Politiciens.
on peut dire que les choses étaient allé vraiment très loin |
Et le spécimen dont nous faisons l'étude en ce moment ne dérogeait pas à cette règle -il représentait le sommet de la pyramide évolutive en ces temps plus que troublés. Des temps de nécessaire réorganisation de la cellule familliale et surtout, surtout, du retour à de vraies valeurs masculines, d'avant celles qui avaient, en fin de compte, précipité la chute de la société capitaliste.
Le concept même d'égalité des sexes avait conduit à une impasse existentielle qui avait précipité la société au bord du Gouffre : les Hommes, ridiculisés et réduits à l'état de métrosexuels efféminés, en étaient réduits à promener les gosses, faire la vaisselle, les courses et, affront suprême, quémander -oui je dis bien quémander des relations sexuelles plus que mensuelles -et épanouissantes. Une vraie honte pour le genre masculin, toute cette frustration, ces insatisfactions accumulées avaient inévitablement mal tourné : les mecs s'étaient révoltés.
j'avais une femme..un jardin..la ptite maison a brûlé dans la prairie |
Fuckin' Warrior savait effectivement faire preuve d'une violence typiquement toute masculine : pourtant, il n’en avait pas toujours été ainsi; le « Fuckin’ Warria » avait été Humain, jadis. Il n’y avait pas si longtemps, il avait même aimé –avant que la déception ne fasse remonter le taux de testostérone dans son sang à un seuil si Fukushimiesque que désormais rien, plus rien n’aurait pu l’arrêter…à part un bon vieux bain de sang, au démonte-pneu si possible, sur de jeunes et jolies femmes c’était encore mieux.
De toutes façons, toutes ces conneries féministes dataient d'avant le Grand Dépeuplement; désormais, il avait une mission, un but, il était l'agent du changement, et ça allait valser!
-« T’avais qu’à pas me larguer pour ce minable, salope !! En plus, c’était mon pote !!
Dire que j’avais même accepté l’idée d’aller jusqu’à faire la vaisselle, torcher les courses et faire les gosses pour toi ! Tu vas me le payer !! »
Souvent, c’étaient les dernières phrases qu’elles entendaient, avant de rendre l’âme en un sanguinolent sanglot étouffé, précédant, ou suivant de peu selon les circonstances, leur bien-aimé « pitit copain » ainsi que toute leur « pitite famille chérie », si nécessaire (chiens, chats, gosses, perruches et/ou hamsters).
Incompréhension, quand tu nous tiens.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------
The Candidate
Une certaine idée de la France |
Le ptit gars était nerveux, vraiment trop nerveux : il tirait fréquemment sur son borsalino de feutre mou, tout en jetant des coups d’œil apeurés à la Cartier platine et diamants qui lui ornait le poignet. De temps à autre, un tic horripilant lui faisait remonter très légèrement l’épaule gauche, tout en penchant la tête, entraînant sa pommette droite à l’épaule opposée, et l’ensemble du visage avec. Un vrai pantin, une authentique marionnette. Ce gusse était à pleurer de rire! Spencer le fixait avec étonnement, depuis la petite dizaine de minutes qu'il était entré et s'était assis là, au milieu de l'entrepôt immense et vide, sur une chaise trop grande pour lui, pathétique petit homme à bout de nerfs. La paranoïa habitait son regard, l'incertitude peuplait le moindre recoin de son esprit, qu'il avait vide et sombre comme ce vieux local de stockage d'alcool de contrebande où ils s'étaient donné rendez-vous.
Le "bras droit" en question était habillé plutôt sobrement, il portait des lunettes à la Trotski -petites, rondes, cerclées de noir, ouais vraiment des lorgnons de vieille saloperie communiste ne put s'empêcher de constater Spencer, un brin haineux- et toisait tous ses gars de façon ostensiblement hautaine. Le gars se la pétait, c'était le moins que l'on puisse dire!
Pourriture de Communisse |
-"Non Claude tu ne comprends pas qu'il faut leur dire TOUT, TOUTE la vérité? Qu'elle est partie, qu'elle s'est tirée, et qu'elle nous met dans la merde?" s'emporta le petit brun, tout en se tortillant sur sa chaise, tout en exaspération et colère mêlées... La sueur coulait sur le front du petit gars.
si tu pars j'nous suicide |
Le petit était hystérique. Le bras droit posa son gauche sur sa tête, d'un air protecteur, et crut bon d'ajouter :
-"Voyons Nicolas calmez-vous, nous allons nous en charger, laissez faire les profession..."
-"RIEN A FOUT' DE VOS PROFESSIONNELS, DANS UN MOIS C'EST LES ÉLECTIONS, JE ME REPRÉSENT' ET ELLE S'EST TIRÉE, IL FAUT LA CREVER, IL FAUT LUI FAIRE PAYE**¤ "
Le petit personnage ne finit pas sa phrase, tout occupé qu'il était à s'affaler sur le sol de béton froid de l'entrepôt. Spencer rangea la matraque dans la poche intérieure de son pardessus et fit un rapide signe de tête aux deux gorilles qui encadraient la porte.
La pourriture de gauchisse était livide, elle s'était agenouillée auprès de son maître, et sa voix commençait à monter dans les tours :
-"MAIS qu'avez-vous donc fait? Que croyez-vous qu'il va se passer? Vous ne pouvez pas vous imaginer dans quel pétrin vous vous êtes fourrés!!!"
Malabar numéro 1 l'interrompit d'une main sur l'épaule -en fait un coup de battoir sur la tête propre à assommer un bœuf, alors vous pensez bien, un intello communisse... Le Guéant chut sur son séant en un rien de temps.
-"Patron, vous voulez qu'on s'en débarrasse?"
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Fukushima mon amour
Ca grillait chaud dans le coin. Takeda lisait 48,7 degrés Celsius sur son afficheur digital; il faudrait confirmer l'information, l'électronique avait tendance à dérailler en présence de neutrons...et, ces temps-ci, il y avait beaucoup, beaucoup de neutrons dans le coin.
tout est sous contrôle, alors on a fait péter le champagne |
Malgré le goût de métal de plus en plus présent dans sa bouche, malgré les nausées qui devenaient de plus en plus fréquentes depuis quelques semaines. Malgré la fatigue, soudaine, inattendue et (presque) inexplicable qui le gagnait chaque jour un peu plus. Malgré le crépitement du Geiger qui avait cessé de réellement l'importuner -d'intermittent, il était devenu continu. Malgré le silence assourdissant, aux abords de la Centrale dévastée : tous les oiseaux qui n'étaient pas morts s'étaient tirés, ne restaient plus que les débris, ceux des génératrices, du toit, et des murs, un peu partout... éventrés, désintégrés, et ce cœur qui battait à nu, pas si loin que ça de lui... La nuit, ça brillait, c'était beau.
Takeda se dit qu'il déraillait, que ça n'était plus possible, qu'il fallait qu'il rentre en zone protégée mais non, il devait continuer, pour son honneur, le devoir, ses ancêtres, l'amour du travail bien fait que sais-je?
Puisqu'on vous dis que c'est CHAMPAGNE pour tout le monde! |
au pays de Mickey, on vous dirait qu'il ne s'est rien passé |
Au fur et à mesure qu'il escaladait les débris de ce qui restait de l'enveloppe extérieure de l'enceinte de confinement, il prenait conscience du carnage : une longue balafre s'étalait au travers de l'enveloppe même de l'enceinte... La faille luisait! La fumée dégageait une quantité phénoménale d'isotopes de toute nature, il les voyait s'élever là-haut, dans l'atmosphère, des petites lumières de couleur verte phosphorescente. De magnifiques vers luisants, les lucioles du XXIème siècle!
Il ne put s'empêcher de s'esclaffer à ce bon mot : il est vrai qu'il avait toujours eu un humour ravageur : au moins les collègues se souviendraient de lui pour ça... Takeda, tu te rappelles, celui qui est allé ramasser des vers luisants dans le réacteur numéro 3? Ah le con!
Toujours est-il que ce qu'il vit acheva de définitivement le convaincre : le corium était déjà en formation au fond de la cuve, l'enceinte de confinement éventrée, les barres de Mox répandues ici et là...Bonne chance avec le plutonium, les gars! Vous allez vraiment en avoir besoin, pour sûr!
vous êtes trop cons pour comprendre |
Takeda balança sa radio désormais devenue inutile -il entendit brièvement le contremaître lui ordonner de rebrousser chemin, d'une voix rendue folle par l'angoisse et la colère- et éclata de rire un dernière fois.
Sa vision se brouillait; le goût de métal dans sa bouche, les petites cloques qui apparaissaient sur sa peau, les démangeaisons de plus en plus insistantes au fur et à mesure qu'il s'approchait et puis ce bruit, cette stridence dans ses oreilles. Son dosimètre qui gueulait, bloqué à 999 msV, et sa combi de travail, bonne vieille combi doublée de plomb, qui le gênait plus qu'autre chose, ses dents, ses bonnes vieilles dents qui tombaient une à une à l'intérieur de son casque, ses cheveux, ses yeux qui*¤¤~~ #-¨' ' ' // *
t'en fais pas, mon p'tit loup, ne pleur' pas, c'est la vie, mon p'tit loup t'en fais pas. Oublie-les les salauds qui ont fait ça...
RépondreSupprimer"Connais-tu, en quadriphonie,
Le dernier tube de Mahler
Et les planteurs de Virginie
Qui ne savent pas qu’y a un hiver.
On en a des chos’s à voir
Jusqu’à la Louisiane en fait
Où y a des typ’s qui ont tous les soirs
Du désespoir plein la trompett’.
T’en fais pas, mon p’tit loup,
C’est la vie, ne pleur’ pas.
Oublie-les, les p’tits cons
Qui t’ont fait ça.
T’en fais pas, mon p’tit loup,
C’est la vie, ne pleur’ pas.
J’t’en supplie, mon p’tit loup,
Ne pleure pas."
(Pierre Perret, Mon p'tit loup)