Quand je pense que nous sommes ici, microbes à la surface d'un grain de poussière à l'échelle cosmique, et que nous nous agitons sur cette terre, tels de vulgaires invertébrés dans un marigot saumâtre.
Nous nous querellons autour d'inexistantes futilités, dépensons notre énergie en de vaines polémiques alors que partout plane le chaos, que la mort attend son heure avec tellement plus de patience que nous n'en aurons jamais, même dans la file d'attente du supermarché aux heures de pointe -et Dieu sait que...
Alors que tout autour de nous, dans un ailleurs que nous osons à peine effleurer, s'ébattent supernovæ gigantesques, trous noirs sans fond, galaxies délirantes et poussières miroitantes d'un monde infini.
Alors que notre existence est suspendue au fil du bon vouloir de Dieux invisibles, aveugles et fous.
Que sommes-nous, en fin de compte?
Et si l'un d'Eux décidait, dans un accès de folie jusqu'au-boutiste, de mettre fin à cette trop Humaine Comédie d'un coup d'astéroïde nettoyeur, d'une vague d'éruption solaire purificatrice...le réaliserions-nous à temps? Nous en soucierions-nous? Changerions-nous pour autant, implorerions-nous Grâce, demanderions-nous Pardon pour nos péchés, alors que le ciel nous tomberait sur la tête, et que l'horizon menacerait de s'éteindre... songerions-nous à la Rédemption?
Nous aimerions-nous enfin les uns les autres?
Et quand bien même, nous rendrions-nous compte, que tout ce que nous faisons, que ce soit par Amour ou par Haine, par envie ou par devoir, par crainte ou par nécessité, que tout ceci est toujours aussi désespérément et inexorablement futile? Aussi vide qu'un îlot d'amertume au milieu d'un océan de larmes...les nôtres.
Et à chaque fois, ça finit pareil. Je ne peux pas m'en empêcher, ça me vient comme ça, ça sort tout seul : "et merde, c'est pas le week-end ce soir? C'est quand la quille? "
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Il y a des jours comme ça : je sais, vous avez une impression de déjà-vu, de lassitude.
Encore un qui va se plaindre! Je vous entends d'ici.
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Zut! encore fait tomber mon astéroïde |
Dur de se frapper la comédie habituelle des news radio parlant de succès manifestantiel par ici, de ratage syndical par-là, et tatati, et tatata, booooouuuuhhhh.
Dur de fuir sous la pluie, dans ma pigeot flambant neuve, vers cette belle cité phocéenne pleine de bouchons, de grisaille, de mal élevés et de petits chef teigneux qui m'attendent, le couteau entre les dents prêts à bondir au détour de la machine à café.
Et pourtant, so what! J'y vais, j'y cours, j'y vole.
Machine à café, 07h30.
Tiens, I am the 1st, ce matin. Cool!
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un conseil : planques-toi, demain c'est l'ouverture de la chasse |
De quoi j'ai rêvé, cette nuit déjà? ahh oui : je volais. C'était chouette! Nooon, pas voler comme ce Woerth là, mais comme cette mouette que j'aperçois par la fenêtre, là. Chanceuse.
Prends ton gobelet, fais gaffe à pas te cramer. Tiens, encore personne à la machine, ils sont en retard ce matin ou quoi?
Assieds-toi, mets-toi à l'aise. Retardes le moment, cette pause c'est la tienne : tes ancêtres ont certainement dû se battre pendant des mois pour l'obtenir. Ainsi que tout ce dont tu profites : tes congés payés, ta convention collective, ton CDI... Mince! il est chaud, ce *$£% de café! Manquerait plus que tu te brûles...
Retardes le moment, mon gars : aujourd'hui c'est vendredi, et on est..07h35, t'as fait le plus dur, tu t'es levé, ça va le faire ce matin....
Alors, au fait, ce rêve, c'était quoi déjà? ah oui, je volais. Pas mal! J'étais où, déjà ? Dans la cour, chez moi, au boulot, tout ça? je m'en souviens pas, ou si peu. Allez quoi! fais un effort!
Ça y est, ça me revient......
o0O°~¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ ¤ * ^^
-Ne me quitte pas, Juliette! Tout s'embrouille, j'écoute Led Zep' : Babe, I'm gonna leave you now, et je pleure. Je me souviens, tu sais je sais que je déconne en ce moment, oui! C'est vrai : je ne suis plus à la hauteur mais... c'est passager, je te le jure je vais me reprendre! Laisse-moi, non laisse-nous du temps! JE TE LE JURE S'IL TE PLAIT NE PARS PAS!
Blam! fait la porte. J'aperçois au passage ses cheveux magnifiques. Si longs, si blonds. Ce visage qui m'avait ensorcelé, ce sourire qui était tout, tes yeux à mes yeux, ton cou à mes lèvres, ta parfaite cambrure Ô ma Vénus! bref tous ces éléments sans lesquels je ne suis plus rien, un chien aveugle qui perd sa truffe, voilà ce que je vais devenir si tu pars!
-Je n'en peux plus, tu comprends? Je regrette...
Ton regard exaspéré dans l'encadrement de la porte, tes cheveux aujourd'hui si courts, ton sourire plein de fiel, si cruel ton regard vrillé sur moi, la haine que tu me portes me gonfle les ailes! Et je suis paralysé : impossible de te répondre que je t'aime! Tu es là, et tu t'en vas, et qu'ai-je à dire, pour solde de tout compte ? Rien ! Suis-je ainsi? Une hyène qui ne fait que se repaître de sa propre ruine, qui mâche et brise les os de nos amours, de toutes façons ta chair n'est plus fraîche, alors autant renoncer... soit!
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Ben Laden a encore fumé la moquette |
Je passe le chambranle, et voilà que les pâtés de maisons sur les côtés deviennent comme cette vieille cimenterie, près de chez moi. Aujourd'hui c'est un mémorial, hier elle servait à fabriquer des tuiles de terre cuite. Avant-hier elle servit pour parquer des Hommes, en attente de leur dernier voyage. De celui qu'on vous impose : impossible d'y renoncer, car tous les chemins mènent aux Roms, n'est-ce pas? c'est comme ça. Beaucoup sont partis et ne sont jamais revenus. Moi, je dois partir, mais je réalise que je m'en fous. Peut-être les comprends-je enfin, ces déportés qui n'ont plus aucun espoir?
Je fais trois pas, et la cimenterie se développe à mes côtés, en même temps que l'immeuble de bureaux, en face de moi, s'éloigne inexorablement, tel ces fantômes de 1940... sans un bruit, sans à-coups dans ma tête, sans heurts dans ma vision, sans que ma raison ne vacille car tout ceci n'est-il pas la réalité ?
J'avance comme dans du coton. Juliette, où es-tu ?
Je ne veux pas t'oublier, et pourtant tu as pris beaucoup trop d'avance : tu es si loin que ton image me fuit.
Je sais, non je sens que je dois chercher quelqu'un, mais qui ? ahhh oui : il faut que j'aille manifester, vite je suis en retard, je vais rater le cortège! Tiens salut l'ami, tu viens avec moi? On prend ta voiture? Ok, pas de problème ça m'arrange vois-tu, mon permis de construire vient d'expirer, je n'ai plus de briques pour finir ma caisse, alors si tu pouvais reprendre forme humaine, surtout au niveau des mains, ce serait chouette vraiment : on pourrait atteindre le cortège à temps...
Zap! Tiens, on est arrivés, déjà? Super, le voyage instantané!
Je descends de vélo, et me retrouve happé par la foule.
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quelques dizaines selon la police |
La rumeur enfle.
-La retraite à soixante ans, sinon tu vas manger tes dents!
-Pour eux, les couilles en or ! pour nous, les nouilles encore!
-Nico, t'es foutu, les préretraités sont dans la rue, les jeunes UMP vont morfler dru!
-Métro, Bollo, Sarko! Y-z-auront pas not' peau!
-Un pas en avant, trois siècles en arrière, c’est la politique du gouvernement.
-RENTIERS , REMBOURSEZ !
-Juliette?
La "foule" frémit tout a coup. Elle m'a entendu, j'en suis sûr! Non, ça n'est pas une foule en vérité!! Je le sais maintenant il s'agit d'un organisme autonome : une entité, indivisible et fière, impersonnelle, exigeante comme tu le fus, Juliette...mais qu'as tu fait ? Je n'arrive pas à me souvenir, si seulement je pouvais me concentrer un instant! Tout ce bruit...
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Cass'toi pôv con ! |
-Trop tard pour gagner, la réforme est déjà votée! Trop tard pour gagner, la réforme est déjà votée !!
Les petits poils sur ma nuque sont maintenant comme des épées, le ciel devient rouge, leurs visages se transforment encore, une teinte olivâtre voilà ce qu'ils prennent, leurs cheveux tombent, de petites lunettes rondes leur poussent sur le nez, des milliers de milliers de petites lunettes qui poussent! Les rides se creusent
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Éric sans l'aide de L'Oréal : pas bon |
-Monsieur le Ministre? Bonjour Monsieur le Ministre! Je me dois de vous le dire, comme tous mes collègues ici présents j'estime que cette réforme est profondément injuste, vous vous rendez compte non seulement nous devrons travailler plus mais de surcroît nous gagnerons moins, sans parler des jours de grêve et de l'augmentation du prix du Figaro Madame, d'ailleurs je tiens à vous signaler que la pénibilité de cette bouse n'est toujours pas prise en compte pour le calcul de l'âge de départ c'est UNE HONTE! Et tout augmente, ne voyez-vous donc pas, Monsieur le Ministre, tout sauf nos salai....-il me coupe d'un geste autoritaire.
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TRANS-MU-TA-TIOOOON !!!! |
paires d'yeux respirant l'intelligence, cette multitude de bonnes bouilles transpirant l'honnêteté oui oui! L'intégrité faite multitude, et la multitude faite entité, qui se tourne désormais vers moi, je suis comme cette goutte d'huile au milieu d'une mer de vinaigre, et ce nombre incalculable (juste une paire affirme la police) de bras qui se posent sur le mien, coupant mon élan vital, allant jusqu'à oui jusqu'à l'écraser. Ils me repoussent au milieu de leur cercle, oui c'est ça le Premier Cercle, le seul l'Unique celui dont il faut absolument que je me défasse avant qu'il ne soit trop tard. Mon Dieu!
-Mais lâchez-moi donc Monsieur le Ministre, vous ne comprenez donc pas? VOUS NE VOYEZ PAS? JE DOIS LA RETROUVER, ne l'envisagez-vous pas? IL FAUT que je la retrouve, pour vivre LIBRE ET HEUREUX je DOIS la retrouver, à partir de soixante ans, profiter du peu de temps qu'il nous reste à vivre avant la fin, avant d'y rester définitivement, vous comprenez?? VOUS COMPRENEZ ?
Les mots se décousent et se recousent dans ma bouche, je m'échappe de leurs étreintes, d'une ruade bien sentie j'envoie leurs bras griffus d'honnêtes gentilshommes valdinguer au ciel, je cours, de plus en plus vite, de plus en plus loin. Sur ma nuque je sens leur haleine fétide, leur souffle rageur qui essaie de m'attraper, se mue en une énorme complainte qui déchire le vacarme de cette après-midi de manifs silencieuses, milliers de serpents susurrant leur satané discours face au soleil :
-Noooooon, vous ne gâââââgnerez jamaissss! C'est ooooblliiiiiiiiigaaaatoiiiiiire! Soissssante-deux anssssssssssss, et ssssssa n'est queee le déébuuuuut! Voussssss le ssssssaviez que jamaissss je ne renonsssssseraiii, jamaisss je ne dééémissssssionnerai!!!!!!!
Et là- je décollai
Joie - ivresse - bonheur - vent dans mes cheveux-
Je m'élève toujours plus haut, toujours plus vite, toujours plus loin.

Ces bâtiments de malheur -brique rouge et couloirs vides- disparaissent à ma vue pour de bon.
Tu es quelque part, Juliette. Je me souviens de toi. De nous.
Tu es en bas, seule, égarée au milieu de cette populace, et j'ai bien l'intention de te retrouver.
Douterai-je un instant? NON. Je sais que je n'ai plus le choix. Je te retrouverai, et te reconquerrai, Juliette.
Tout ceci n'est rien, pourquoi nous ennuyer? La vie est si courte, nous sommes si peu, et nous trouvons encore le moyen de nous faire souffrir?
Ils ne me prendront pas le peu qui me reste. Ils ne nous voleront plus : c'est nous qui volons.
Si haut!
Depuis ce jour, j'ai choisi mon camp.