vendredi 3 décembre 2010

Je hais Noël

Noël?  : Les boules...................

On était le 24 décembre, à la veille du Grand évènement. Partout dans la rue les honnêtes gens s'empressaient de regagner leur Domicile Chéri, leur accueillant foyer, ou, pour les moins chanceux, leur carton favori.

Il faisait froid, la neige tombait dru, en cette fin d'après-midi... Tout était comme anesthésié, étouffé par le manteau blanc. La vue, l'ouïe, mais aussi le toucher, les pas, la chaleur : tout s'engourdissait. Cet espèce d'amorti qui précède les grands évènements, cette tension retenue dans l'air qui flottait, indicible : tout incitait les gens, les êtres à se mettre au chaud, à l'abri, à ne pas rester dehors.

Manman était arrêtée devant la vitrine brillamment illuminée du grand magasin, interloquée. Elle tentait de reprendre la main à Bout'chou A-DO-RÉ qui la refusait, reculant continuellement contre la vitrine avec des petis sauts qui ressemblaient à ceux d'une mangouste en train de chasser un cobra. Ses yeux d'enfant innoccent trahissaient la colère la plus pure, le caprice le plus ultime, l'envie la plus inassouvie qu'un gamin de son âge pouvait avoir... 4 ans, et déjà les larmes fusaient sur ses joues rougies par le froid et l'émotion, son regard lançait des éclairs que n'auraient pas renié Zeus, au plus fort d'un courroux un poil mythologique...

"JE LE VEEEEEUUUXX!!!" cracha-t-il derechef, pour la septième fois, à la face de Manman chérie.
"Mais voyons, bébé, tu sais très bien que Papa Noël c'est pour cette nuit, et pas avant? Allez, arrête de faire ton caprice, sois sage et donne-moi la mai- "JEEEEE LEEEEE VEEEEUUUUUXXXXXXX!!!"

Hystérie, refus. Refus, blocage. Rage.

L'homme descend du singe...le marmot aussi
L'enfant cognait de ses petits poings gantés contre la vitrine, la dernière figurine Gormiti à la mode lui faisant d'irrépressibles œillades à travers le verre blindé du grand magasin.

Manman ne savait plus quoi faire, bébé commençait à abuser! Les gens pressés passaient à côté d'eux, les bras chargés de paquets et l'air préoccupé, "vite vite encore la Dinde à couper et les marrons à préparer, ce soir c'est crise de foie (plus sympa que la Grande Crise de Foi), courir ne me fera pas de mal, mais qu'est-ce que c'est que ce mignon petit qui crie comme ça?"
Ils évitaient soigneusement la mère et l'enfant, en un crochet rapidement calculé sur le trottoir gelé, "surtout surtout faire attention ne pas glisser, regarder où on va non vraiment vraiment ce serait stupide de finir aux urgences alors que ce soir c'est bombance, vite vite quand même mais qu'est ce que c'est que ce pitit bout'chou qui hurle? Ohhh mooon dieuuu.."

-"Chéri, arrrêêête, tu vois bien que c'est un jouet pour de faux! On a commandé le même sur la liste de pôpa Noyel, tu sais, il va venir ce soir, il faut que tu sois patient, quand même, c'est-" -"NAAAAAAAN!! c'est CUI LA QUE JEEE VEEEEUUUUUX!!!!!" lui cracha-t-il une nouvelle fois en plein visage.

Le vaccin contre la rage? un bon coup de pied au c..
La rage enfantine redoublait : désormais il était à plat ventre, passant alternativement dans la neige et le caniveau, les yeux roulant dans les orbites, refusant toute possibilité de discussion.

Bientôt son cinquième Noël et déjà, il savait se faire entendre, il savait ce qu'il voulait : cela augurait le meilleur  pour l'avenir.

Son placard était déjà plein de jouets, bien sûr.

Toute la gentille famille le couvrirait, cette année encore, de divers cadeaux plus ou moins onéreux.
Cette année encore, on se serrerait la ceinture, on se priverait peut être même de chauffage dans quelque masure de l'oncle, de la tante ou de la marraine (retraités avec une petite pension, mais "tellement fiers de nos petits-enfants qu'on ne compte pas"!), pour pouvoir "ne pas marquer mal à la fête, et offrir un cadeau convenable au petit". C'était tout ce qui comptait : que le cadeau finisse au fond d'un placard, sitôt déballé, et que le gamin passe la soirée à s'amuser avec la ficelle de l'emballage, ou le carton, plus qu'avec l'énième figurine bourrée d'électronique dernier cri (et forcément hors de prix), importait peu.
On jetterait un énième regard noir au pauvre type qui oserait (une fois de plus! ils sont gonflés alors ceux-là! il y en a partout de ces feignasses : qu'ils aillent bosser, tiens!) tendre la main, le cul dans la neige et le coeur dans la glace, pour mendier de quoi anesthésier une vie brisée. Combien de litrons de cette bonne vieille Villageoise bas-de-gamme pour le prix d'un seul Pokémon dernier cri?

Désolé, ça ne prend plus...
Du moment qu'on faisait un "beau cadeau", dont la famille pourrait se souvenir (et se vanter), c'était tout ce qui comptait.
Bien sûr, on passait devant les clochards sans même baisser la tête, et on lâchait des sommes astronomiques dans un cadeau futile, dont la seule utilité était de remplir les bonnes consciences des uns, les poches des autres (les industriels du plastique, du pétrole, etc.) et de saloper toujours un peu plus l'écosystème, in fine.

Devant la menace imminente de la main brandie au dessus de sa tête ("elle va partir celle-là, tu vas l'avoir ta fessée!!"), le petit morveux venait de se calmer : les yeux baissés, la bouche lançant de petits nuages de vapeur, il avait momentanément capitulé pour se relever. Il glissa sa main dans celle désormais tendue de sa mère, impatiente de décamper pour rentrer préparer la dinde.

Manman était satisfaite, en même temps que contrariée. La culpabilité commençait à poindre aussi, bien évidemment : en chemin, elle lui achèterait une gaufre pour se faire pardonner.

Le gamin trottinait aux côtés de sa Manman, qui le soulevait presque de terre. Il se retourna une dernière fois vers la belle vitrine : un dernier regard sur l'objet tant convoité...

Il ne pouvait pas laisser les choses en l'état, ohh non.
Seuls les faibles lâchaient totalement l'affaire.
Vindicatif? Non, pragmatique. Il irait loin, ce petit!

Arrachant la gaufre au chocolat des mains tendues du marchand, il la balança à la face de Manman culpabilisée : "Je hais Noël ! "

3 commentaires:

  1. ouïe, que ça fait mal. Oui, finalement, "Le père Noël est une ordure" est toujours le meilleur film sur cette question si... délicate : fêter ou ne pas fêter !

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  2. Toff,
    Il y a une solution. Proposons des petits enfants à dévorer à des meutes de loups affamés et aux abois.
    On protègera ainsi l'écosystème tout en piétinant l'idée neu-neu du petit Jésus.
    Merveilleux et significatif billet.

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  3. @ lucia : en être ou pas, là est la question...

    @Mike je préfèrerais les crucifier, tant qu'à suivre le modèle original, suivons le jusqu'au bout, merci!

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