vendredi 24 septembre 2010

Manifester plus pour rêver moins

 La vie est vraiment un long fleuve tranquille. 

Quand je pense que nous sommes ici,  microbes à la surface d'un grain de poussière à l'échelle cosmique, et que nous nous agitons sur cette terre, tels de vulgaires invertébrés dans un marigot saumâtre. 

Nous nous querellons autour d'inexistantes futilités, dépensons notre énergie en de vaines  polémiques alors que partout plane le chaos, que la mort attend son heure avec tellement plus de patience que nous n'en aurons jamais, même dans la file d'attente du supermarché aux heures de pointe -et Dieu sait que...

Alors que tout autour de nous, dans un ailleurs que nous osons à peine effleurer, s'ébattent supernovæ gigantesques, trous noirs sans fond, galaxies délirantes et poussières miroitantes d'un monde infini.

Alors que notre existence est suspendue au fil du bon vouloir de Dieux invisibles, aveugles et fous.

Que sommes-nous, en fin de compte? 

Et si l'un d'Eux décidait, dans un accès de folie jusqu'au-boutiste, de mettre fin à cette trop Humaine Comédie d'un coup d'astéroïde nettoyeur, d'une vague d'éruption solaire purificatrice...le réaliserions-nous à temps? Nous en soucierions-nous? Changerions-nous pour autant, implorerions-nous Grâce, demanderions-nous Pardon pour nos péchés, alors que le ciel nous tomberait sur la tête, et que l'horizon menacerait de s'éteindre... songerions-nous à la Rédemption?

Nous aimerions-nous enfin les uns les autres?

Et quand bien même, nous rendrions-nous compte, que tout ce que nous faisons, que ce soit  par Amour ou par Haine, par envie ou par devoir, par crainte ou par nécessité, que tout ceci est toujours aussi désespérément et inexorablement futile? Aussi vide qu'un îlot d'amertume au milieu d'un océan de larmes...les nôtres.

Et à chaque fois, ça finit pareil. Je ne peux pas m'en empêcher, ça me vient comme ça, ça sort tout seul : "et merde, c'est pas le week-end ce soir? C'est quand la quille? "
 
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Ce matin fût particulièrement dur.

Il y a des jours comme ça : je sais, vous avez une impression de déjà-vu, de lassitude.
Encore un qui va se plaindre! Je vous entends d'ici.
Zut! encore fait tomber mon astéroïde
Attendez. Laissez-moi parler avant de juger!
Dur de supporter le réveil. Dur de sortir du lit. Dur d'aller sous la douche, de se raser, (d'oublier) de se brosser les dents, d'avaler un thé chaud et du porridge froid (vous devriez essayer, c'est très bon pour le transit).

Dur de se frapper la comédie habituelle des news radio parlant de succès manifestantiel par ici, de ratage syndical par-là, et tatati, et tatata, booooouuuuhhhh.

Dur de fuir sous la pluie, dans ma pigeot flambant neuve, vers cette belle cité phocéenne pleine de bouchons, de grisaille, de mal élevés et de petits chef teigneux qui m'attendent, le couteau entre les dents prêts à bondir au détour de la machine à café.

Et pourtant, so what! J'y vais, j'y cours, j'y vole.

Machine à café, 07h30.

Tiens, I am the 1st, ce matin. Cool!

un conseil : planques-toi, demain c'est l'ouverture de la chasse
Ouvre ton casier, prends un gobelet, sers-toi un café... Cogites, pendant que la machine fait un bordel monstre. GloouOou gloooh groooooh

De quoi j'ai rêvé, cette nuit déjà? ahh oui : je volais. C'était chouette! Nooon, pas voler comme ce Woerth là, mais comme cette mouette que j'aperçois par la fenêtre, là. Chanceuse.

Prends ton gobelet, fais gaffe à pas te cramer. Tiens, encore personne à la machine, ils sont en retard ce matin ou quoi?

Assieds-toi, mets-toi à l'aise. Retardes le moment, cette pause c'est la tienne : tes ancêtres ont certainement dû se battre pendant des mois pour l'obtenir. Ainsi que tout ce dont tu profites : tes congés payés, ta convention collective, ton CDI... Mince! il est chaud, ce *$£% de café! Manquerait plus que tu te brûles...
Retardes le moment, mon gars : aujourd'hui c'est vendredi, et on est..07h35, t'as fait le plus dur, tu t'es levé, ça va le faire ce matin....

Alors, au fait, ce rêve, c'était quoi déjà? ah oui, je volais. Pas mal! J'étais où, déjà ? Dans la cour, chez moi, au boulot, tout ça? je m'en souviens pas, ou si peu. Allez quoi! fais un effort!

Ça y est, ça me revient......

  
o0O°~¤ ¤   ¤     ¤            ¤                   ¤                            ¤                               *                                 ^^


-Ne me quitte pas, Juliette! Tout s'embrouille, j'écoute Led Zep' : Babe, I'm gonna leave you now, et je pleure. Je me souviens, tu sais je sais que je déconne en ce moment, oui! C'est vrai : je ne suis plus à la hauteur mais... c'est passager, je te le jure je vais me reprendre! Laisse-moi, non laisse-nous du temps! JE TE LE JURE S'IL TE PLAIT NE PARS PAS!

Blam! fait la porte. J'aperçois au passage ses cheveux magnifiques. Si longs, si blonds. Ce visage qui m'avait ensorcelé, ce sourire qui était tout, tes yeux à mes yeux, ton cou à mes lèvres, ta parfaite cambrure Ô ma Vénus! bref tous ces éléments sans lesquels je ne suis plus rien, un chien aveugle qui perd sa truffe, voilà ce que je vais devenir si tu pars!

-Je n'en peux plus, tu comprends? Je regrette...

Ton regard exaspéré dans l'encadrement de la porte, tes cheveux aujourd'hui si courts, ton sourire plein de fiel, si cruel ton regard vrillé sur moi, la haine que tu me portes me gonfle les ailes! Et je suis paralysé : impossible de te répondre que je t'aime! Tu es là, et tu t'en vas, et qu'ai-je à dire, pour solde de tout compte ? Rien ! Suis-je ainsi? Une hyène qui ne fait que se repaître de sa propre ruine, qui mâche et brise les os de nos amours, de toutes façons ta chair n'est plus fraîche, alors autant renoncer... soit!

Ben Laden a encore fumé la moquette
Je sors, sur le seuil les escaliers du boulot sont là, ils m'attendent bien sagement. L'immeuble d'en face fait 666 étages, à vue d'oreille, j'entends même les couleurs des nuages qui stagnent sur les flaques d'eau.
Je passe le chambranle, et voilà que les pâtés de maisons sur les côtés deviennent comme cette vieille cimenterie, près de chez moi. Aujourd'hui c'est un mémorial, hier elle servait à fabriquer des tuiles de terre cuite. Avant-hier elle servit pour parquer des Hommes, en attente de leur dernier voyage. De celui qu'on vous impose : impossible d'y renoncer, car tous les chemins mènent aux Roms, n'est-ce pas? c'est comme ça. Beaucoup sont partis et ne sont jamais revenus. Moi, je dois partir, mais je réalise que je m'en fous. Peut-être les comprends-je enfin, ces déportés qui n'ont plus aucun espoir?
Je fais trois pas, et la cimenterie se développe à mes côtés, en même temps que l'immeuble de bureaux, en face de moi, s'éloigne inexorablement, tel ces fantômes de 1940... sans un bruit, sans à-coups dans ma tête, sans heurts dans ma vision, sans que ma raison ne vacille car tout ceci n'est-il pas la réalité ?



J'avance comme dans du coton.         Juliette, où es-tu ?

Je ne veux pas t'oublier, et pourtant tu as pris beaucoup trop d'avance : tu es si loin que ton image me fuit.

Je sais, non je sens que je dois chercher quelqu'un, mais qui ?  ahhh oui : il faut que j'aille manifester, vite je suis en retard, je vais rater le cortège! Tiens salut l'ami, tu viens avec moi? On prend ta voiture? Ok, pas de problème ça m'arrange vois-tu, mon permis de construire vient d'expirer, je n'ai plus de briques pour finir ma caisse, alors si tu pouvais reprendre forme humaine, surtout au niveau des mains, ce serait chouette vraiment : on pourrait atteindre le cortège à temps...

Zap! Tiens, on est arrivés, déjà? Super, le voyage instantané!
Je descends de vélo, et me retrouve happé par la foule.
quelques dizaines selon la police
Des milliers non des centaines de milliers non des millions de manifestants (une petite centaine selon la police) m'entourent, partout des cris, des banderoles, des slogans à perte de vue. Une chevelure blonde, jusqu'aux reins, qui passe devant moi, qui s'engouffre plutôt dans cette foule si dense.       Juliette?

La rumeur enfle.

-La retraite à soixante ans, sinon tu vas manger tes dents!
-Pour eux, les couilles en or ! pour nous, les nouilles encore!
-Nico, t'es foutu, les préretraités sont dans la rue, les jeunes UMP vont morfler dru!
-Métro, Bollo, Sarko! Y-z-auront pas not' peau!
-Un pas en avant, trois siècles en arrière, c’est la politique du gouvernement.
-RENTIERS , REMBOURSEZ !

                     -Juliette?

La "foule" frémit tout a coup. Elle m'a entendu, j'en suis sûr! Non, ça n'est pas une foule en vérité!! Je le sais maintenant il s'agit d'un organisme autonome : une entité, indivisible et fière, impersonnelle, exigeante comme tu le fus, Juliette...mais qu'as tu fait ? Je n'arrive pas à me souvenir, si seulement je pouvais me concentrer un instant! Tout ce bruit...

Cass'toi pôv con !
La foule s'est arrêtée. Arrêt du temps et des cris.  Banderoles immobiles : regards de mépris, franche camaraderie, rires aux éclats, faces rougeaudes exultant leur colère...sono à fond, slogans hurlés figés. Je la sens qui se retourne vers moi, et je sens sa colère. Je la sens si fort qu'au fond de mes tripes quelque chose se noue. Sur ma nuque ces petits poils commencent à se hérisser, alaaarme!  C'est un véritable cauchemar. Des centaines, des milliers, des centaines de milliers (quelques dizaines selon le gouvernement) de visages, de figures, de portraits en noir et blanc, colorés par la haine. Leurs yeux comme des aiguilles, leur peau comme des écailles d'anguilles, on dirait une image de film d'horreur japonais ! Une masse compacte de shinigami, ces dieux de la mort qui ne se laissent voir que quand il est trop tard.

-Trop tard pour gagner, la réforme est déjà votée! Trop tard pour gagner, la réforme est déjà votée !!

Les petits poils sur ma nuque sont maintenant comme des épées, le ciel devient rouge, leurs visages se transforment encore, une teinte olivâtre voilà ce qu'ils prennent, leurs cheveux tombent, de petites lunettes rondes leur poussent sur le nez, des milliers de milliers de petites lunettes qui poussent! Les rides se creusent
Éric sans l'aide de L'Oréal : pas bon
désormais sur un visage qui respire la sympathie. L'honnêteté faite Homme. Pisqu'on vous le dit.

-Monsieur le Ministre? Bonjour Monsieur le Ministre! Je me dois de vous le dire, comme tous mes collègues ici présents j'estime que cette réforme est profondément injuste, vous vous rendez compte non seulement nous devrons travailler plus mais de surcroît nous gagnerons moins, sans parler des jours de grêve et de l'augmentation du prix du Figaro Madame, d'ailleurs je tiens à vous signaler que la pénibilité de cette bouse n'est toujours pas prise en compte pour le calcul de l'âge de départ c'est UNE HONTE!  Et tout augmente, ne voyez-vous donc pas, Monsieur le Ministre, tout sauf nos salai....-il me coupe d'un geste autoritaire.

TRANS-MU-TA-TIOOOON !!!!
Non, ils. Ils me coupent la parole d'un geste autoritaire : ces milliers de fronts Woerthiens, ces centaines de
paires d'yeux respirant l'intelligence, cette multitude de bonnes bouilles transpirant l'honnêteté oui oui! L'intégrité faite multitude, et la multitude faite entité, qui se tourne désormais vers moi, je suis comme cette goutte d'huile au milieu d'une mer de vinaigre, et ce nombre incalculable (juste une paire affirme la police) de bras qui se posent sur le mien, coupant mon élan vital, allant jusqu'à oui jusqu'à l'écraser. Ils me repoussent au milieu de leur cercle, oui c'est ça le Premier Cercle, le seul l'Unique celui dont il faut absolument que je me défasse avant qu'il ne soit trop tard. Mon Dieu!

-Mais lâchez-moi donc Monsieur le Ministre, vous ne comprenez donc pas? VOUS NE VOYEZ PAS? JE DOIS LA RETROUVER, ne l'envisagez-vous pas? IL FAUT que je la retrouve, pour vivre LIBRE ET HEUREUX je DOIS la retrouver, à partir de soixante ans, profiter du peu de temps qu'il nous reste à vivre avant la fin, avant d'y rester définitivement, vous comprenez?? VOUS COMPRENEZ ?

Les  mots se décousent et se recousent dans ma bouche, je m'échappe de leurs étreintes, d'une ruade bien sentie j'envoie leurs bras griffus d'honnêtes gentilshommes valdinguer au ciel, je cours, de plus en plus vite, de plus en plus loin. Sur ma nuque je sens leur haleine fétide, leur souffle rageur qui essaie de m'attraper, se mue en une énorme complainte qui déchire le vacarme de cette après-midi de manifs silencieuses, milliers de serpents susurrant leur satané discours face au soleil  :
-Noooooon, vous ne gâââââgnerez jamaissss! C'est ooooblliiiiiiiiigaaaatoiiiiiire! Soissssante-deux anssssssssssss, et ssssssa n'est queee le déébuuuuut! Voussssss le ssssssaviez que jamaissss je ne renonsssssseraiii, jamaisss je ne dééémissssssionnerai!!!!!!!


 Et là- je décollai


Joie - ivresse - bonheur - vent dans mes cheveux-

Je m'élève toujours plus haut, toujours plus vite, toujours plus loin.


Ces bâtiments de malheur -brique rouge et couloirs vides- disparaissent à ma vue pour de bon.

Tu es quelque part, Juliette. Je me souviens de toi. De nous.

Tu es en bas, seule, égarée au milieu de cette populace, et j'ai bien l'intention de te retrouver.

Douterai-je un instant? NON. Je sais que je n'ai plus le choix. Je te retrouverai, et te reconquerrai, Juliette.

Tout ceci n'est rien, pourquoi nous ennuyer? La vie est si courte, nous sommes si peu, et nous trouvons encore le moyen de nous faire souffrir?

Ils ne me prendront pas le peu qui me reste. Ils ne nous voleront plus : c'est nous qui volons.

Si haut!


Depuis ce jour, j'ai choisi mon camp.




4 commentaires:

  1. ça me rappelle "mai, mai, mai... Paris" de Nougaro...

    "C'est ainsi que parlait sans un mot ce jeune homme
    Entre le fleuve ancien et le fleuve nouveau
    Où les hommes noyés nagent dans leurs autos.
    C'est ainsi, sans un mot, que parlait ce jeune homme
    Et moi l'oiseau-forçat, casseur d'amère croûte
    Vers mon ciel du dedans j'ai replongé ma route,
    Le long tunnel grondant sur le dos de ses murs
    Aspiré tout au bout par un goulot d'azur
    Là-bas brillent la paix, la rencontre des pôles
    Et l'épée du printemps qui sacre notre épaule

    Gazouillez les pinsons à soulever le jour
    Et nous autres grinçons, pont-levis de l'amour

    Mai mai mai Paris mai
    Mai mai mai Paris"

    http://www.youtube.com/watch?v=SlsJzBSxces

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  2. ah, sinon, j'oubliais : la mouette est arrivée jusqu'à Paris ;-)) et, puisqu'on parle d'oiseaux, ton texte est vraiment chouette !!!

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  3. merci pour ces compliments...je me rêvais aigle, et me voilà mouette...c'est déjà pas mal!
    mais le fait est que j'ai un avantage: je dispose d'un esprit malade et torturé, ce qui m'aide grandement dans "l'écriture" et m'ôte -un peu- de ce mérite que tu m'accordes si généreusement...

    bon assez d'âneries, en fait J'AIME les compliments et j'en veux encore!

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  4. "j'entends même les couleurs des nuages qui stagnent sur les flaques d'eau", magnifique.
    Fort, très fort ton texte, évocateur et multiple, puissant, tumultueux et apaisé, en même temps...
    Petit bémol, jamais vu une superbe blonde aux cheveux longs avec une cambrure de Vénus dans une manif, où bien j'ai loupé ça. Ou bien mes yeux ne virent que l'accumulation de retraités rapetissés et rougeoyants du fait des années de travail harassant et de l'absorption systématique d'un picrate plastifié de cafétéria estampillé "vin de la communauté européenne"...
    Mais je te promets, la prochaine fois je regarderai mieux.
    Salut camarade, et à Juliette, alors...

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