lundi 9 août 2010

Punition

"Je déconnexe, tu déconnexes, ils déconnexe. Noux déconnexons, vous déconnexez, ils déconnent."

Le gamin récitait sa conjugaison d'un air grave, entrecoupant chaque nouvelle saillie contre la Bonne Langue Française de respirations haletantes, les yeux similaires à ceux d'un hamster qu'on aurait sorti de sa cage trop brutalement, la tête fixe, raidie par la terreur, sous les regards assassins de Monsieur Estronzi, le professeur de Français le plus redouté du collège Saint Sulpice-les-deux-églises.

de la nécessité d'un façonnage précoce...
La Vénérable Institution formait -pardon, vissait -des générations de garnements tous plus turbulents et indisciplinés les uns que les autres. Sans coup férir, leur passage dans l'établissement faisait d'eux des Hommes Nouveaux, de Vrais Citoyens. Du charbon, le diamant le plus pur naissait. Certes, la transformation- pardon, la transmutation, car on approchait véritablement ici d'un Grand Œuvre - ne se faisait pas dans le calme, sans pleurs ni douleurs... mais qui a dit que Dame Fortune n'arrivait qu'aux feignasses?

-"NON MICHEL! " tonna le professeur. "Vous n'avez toujours pas appris vos conjugaisons, à ce que je vois?"
Le ton se fit mielleux tout à coup.  Les yeux du professeur, derrière ses lunettes cerclées d'écailles, n'étaient plus que deux fentes ne laissant passer qu'une froide détermination.
-"Approchez près de moi..."
Nouveau regard exorbité du garnement. Silence dans la classe.
-"Mais je.." tenta-t-il maladroitement
-"J'AI DIT APPROCHEZ"
Le tonnerre se faisait menaçant. Pas à pleine puissance, mais suffisant pour que le gavroche ne songe même plus à parlementer, juste avancer, tel un rat pris dans le regard du serpent. S'approchant vers son bourreau, malgré lui-même.

Monsieur Estronzi était impossible à surprendre
Monsieur le Professeur Estronzi, Agrégé ès Sciences de la Mécanique et des Déplacements d'air, Membre Honoraire de la très influente Société des Admirateurs de Napoléon III, était également un fervent amateur de Golf. Il pratiquait, à l'occasion, le Noble Art avec toute l'énergie que voulaient bien lui laisser les "petits morveux", comme il les surnommait affectueusement, une fois l'éprouvante semaine de cours terminée.
C'est pourquoi il ne se séparait jamais de son club, dont il avait préalablement retiré le driver en métal, pour le remplacer par une tête de martinet. Plus de puissance, et une meilleure portée...pour toujours plus d'efficacité. Telle était la devise, qu'il avait fait graver sur le manche. Petite folie pour Grand Dessein.

Contre les scories, un bon nettoyage au savon.
Les remontées qu'il avait eues de la cour de récréation -grâce à Eric Chiotti, son plus fidèle courtisan, un de ses meilleurs élèves, le Préféré - lui avaient permis d'apprendre, non sans une pointe de fierté, qu'on avait surnommé la mortelle cravache "la Déchoueuse". Car elle déchouait les postérieurs les plus fermes sans coup férir. Une séance avec elle départissait n'importe quel turbulent de sa superbe, nettoyait les cœurs et les âmes de toute scorie. La différence s'effaçait, était expulsée pour faire place à l'uniformité, seul gage de tenue des troupes.
M Estronzi n'avait jamais supporté qu'un petit morveux, d'aussi noble extraction soit-il, puisse dicter la loi dans sa classe.

Que serai-je devenu sans ces valeurs?
Ici, il était le Maître. Il façonnait le climat de ce petit carré de béton entouré de quatre murs, où de jaunissantes affiches vantaient les mérites du Travail, de la Foi et de l'Effort. De la Discipline. Une atmosphère de Peur, propice au meilleur des conditionnements, était ici à l'œuvre en permanence.

Les élèves terrorisés avaient surnommé sa classe  "le Royaume", et ça en était un. Son Royaume, le Royaume de France de Monsieur Estronzi.

"Avancez, et ne perdons pas de temps. Vous connaissez la procédure, Monsieur Roquard. Tout élève irrespectueux, n'apprenant pas ses leçons, et ne se conformant pas au Modèle Vertueux que nous essayons de mettre en place dans cet établissement sera sanctionné. J'ai toute latitude pour cela, car j'ai été mandaté par le Principal M. Charlozy. Vous n'êtes pas sans ignorer que M. Charlozy a été élu par la majorité des parents d'élèves au dernier Conseil d'Administration? Et plébiscité sur sa politique de fermeté?"

C'était le moment qu'il préférait. Le silence dans son Royaume. La tension dans l'air. Allait-il sortir "la Déchoueuse" ?
Ahhh si j'avais connu M Estronzi....
"Agenouillez-vous, Monsieur Roquard. Vous connaissez la procédure. Mon devoir est de faire en sorte que vous ne deveniez pas un voyou. Vous comprenez? Et ça commence ici. Je sais ce que vous vous dites : il a tort, c'est juste un mauvais moment à passer. Ça lui plaît de faire ça..." Je vous arrête tout de suite! Ça ne me plaît pas plus qu'à vous. Je dirais même que j'en souffre plus; voir tant de jeunes pousses aller de travers, et toujours devoir tailler à contre-sens, comprenez que j'en souffre. Mais c'est un travail qui doit être fait. Entre la grandeur du Français et les petits voyous dans votre genre, sachez que j'ai choisi mon camp. Pas de laxisme ici, mon petit.. "

Schlac! la macro-badine, la Déchoueuse, jaillit enfin de son étui en peau de gnou du Bangladesh avec un sifflement de mauvais augure. L'effet était toujours spectaculaire -M Estronzi disait même qu'il participait à la punition.
Un murmure étouffé parcourut la classe; chuchotements, coups de coude.
Le petit Michel s'agenouilla, les genoux s'entrechoquant.
"Avant que nous en finissions, Monsieur Roquard, j'aimerais que vous compreniez une dernière chose. Les Valeurs de cet établissement sont millénaires. Devenir élève ici, c'est accepter ces valeurs. Accepter les règles ou les violer, à un moment où un autre, il faut choisir. Et en assumer toutes les conséquences. Et sachez que l'on dit dé-co-nnec-TER!"

D'un geste sec, il arracha le froc du garnement dans un râle absolument haineux: "Han! voilà qui est fait!"
Il se redressa, empoignant l'instrument de Discipline d'une main, mettant le petit Michel sur le ventre de l'autre.

L'ambiance était paroxystique. Les mines se crispèrent, devant les faibles se dressait le Professeur, celui-qui-détient-le-pouvoir. La Vérité, l'Autorité. Une aura émanait véritablement de lui! Certains se mirent même à pleurer... Une telle chose était-elle possible?

"MAINTENANT je veux que tout le monde regarde, sans exception!"

Apparemment, oui.

La Foudre s'abattit.

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