mercredi 4 août 2010

César

Nous aimons beaucoup aller au restaurant, mon épouse et moi.

Avoir les idées étroites comme un hymen de jeune militante de l’UMP ne veut pas dire pour autant que nous soyons des peine-à-jouir.

J’aime beaucoup les pâtes, ma femme préfère les viandes blanches.

-" Légèreté, vitalité !" s’exclame-t-elle à chaque fois que nous abordons le sujet.
-"Tonus et entrain !" lui réponds-je alors souvent, avant que nous ne partions dans de grands éclats de rire complices.
L’autre jour, nous sommes allés au restaurant, justement.

La petite gargote était située dans une impasse mal éclairée, au beau milieu d’un village sorti de nulle part, havre de paix logé dans l’arrière-train de la campagne aixoise.

L’aspect extérieur était tout à fait charmant, un mix entre l’auberge de terroir et le château nobiliaire d’ancienne facture, fleurant bon la Cuisine «à la Française»...
L’autocollant "GôéMillaut" acheva de nous convaincre : nous entrâmes.

La tenancière nous accueillit avec un sourire empressé, de l’air de ceux qui ont du travail en retard -alors que le restaurant était manifestement vide. Ma charmante épouse me retint le bras d’un œil entendu, avant que je ne fisse une réflexion prompte à gâcher notre premier après-midi de vacances…
Sitôt assis, la matrone patronne nous jeta la carte sur les genoux et s’en fût, sans un regard en arrière, dans quelque recoin malodorant de l’arrière-cuisine.

Nouvelle œillade de ma chère et tendre, destinée à calmer mes envies de vendetta grandissantes.
Arrive le choix du menu, j’opte pour de banales pastasses « à la bolognese », ma moitié jette son dévolu sur une salade « César ».
Passons sur le temps d’attente –nouveau coup d’œil en oblique de ma chère et tendre-, le service empressé et le pouce grassouillet dans les assiettes –énième regard appuyé de ma douce oblige, une fois de plus, je ne dis rien.
Malgré la pression, je déguste ma « pasta », infecte bouillie trop cuite où surnagent, au milieu d’un lac de « sauce tomate maison» aussi acide que le sang d’un alien à la Ridley Scott, de rares morceaux d’une viande inidentifiable, en provenance d’on ne sait quelle boucherie hallal, tenue par quelque maquignon corse susceptible de ramasser les chats crevés sur le bord de la route pour améliorer ses fins de mois…

Ma Juliette quant à elle semble infiniment plus à l’aise, voir le plaisir qu’elle manifeste à déguster sa « Salade César aux Pignons de Pins et sauce Woerthcestershire » me ravit d’émotion, à tel point que j’en oublie la dégueulasserie qui peuple mon assiette et tapisse ma chemise, mon pantalon et depuis peu le fond de mon estomac -en attendant la cuvette...
Je ne peux pas m’en empêcher, c’est comme ça : elle est heureuse, je suis heu-reux dix fois plus, même au bord du précipice.

-"Le poulet est délicieux, chéri, vraiment ! et cette saaaauuuce, elle va super bien avec la garniture ! tu as vu tout ce qu’il y a ? On est servi comme des ministres non ?.. Et toi ? tu ne finis pas ton assiette ?"

-"Euhh…je n’ai plus très faim, en fait, il y en avait trop. Et, tu sais, la bouffe c’est comme la politique ma chérie, le trop est l’ennemi du bien… C’est vrai qu’elle a l’air géniale ta salade… Comment tu dis déjà ? Salade César c’est ça ? J’en prendrais presque une…"

-"Y en a puuus !" le beuglement, surgi de nulle part, me fit sursauter- et répandre un peu plus de sauce sur mon gilet. La fourbe s’était faufilée dans mon dos ! Elle me jetait un regard noir. Non, pas noir. Brun.

-"Mais voyons, madame, je ne voulais pas en commander, cette affaire (je désignai mon assiette) me suffit amplement, si en plus vous y rajoutez ce César, je ne m’en sortirai plus !" essayai-je de plaisanter…
-"Et la ptite dame, ça a été ?" rétorqua la bougresse, se tournant vers ma mie, m’ignorant superbement.
-"Parfait, c’était paaarfait !" répondit mon adulée, la mine repue, l’œil brillant, avec un sourire râââvi.

-"Aaahhh…ça fait plaisir, les gens qui avalent tout ce qu’on leur sert ! (Nouveau regard, noir cette fois) Tiens ! pour la peine, je vous fais une ristourne ! Ch’sais pas si z’avez r’marqué, mais d’puis qu’la TVA a baissé, on a répercuté, mais les clients y viennent moinss. Mais commes z’êts nouveaux, et qu’la ptite dame (sourire carnassier) elle est gentille (regard pourpre), je vous fais 10 pour cent, tiens ! Pas de pénalités pour mauvaise foi, chez nous !!"
Et de partir dans un meuglement de rire inextinguible, qui la poursuivit jusque dans sa cuisine, nos assiettes dans ses griff à la main.

Une fois dehors, mon amour me fit remarquer (avec justesse), l’inadéquation de mon attitude.

-"Tu veux toujours tout gâcher, à tout critiquer sans arrêt, tu vois ? Alors qu’il suffit de ne rien dire, de sourire, et tout s’arrange ! Regarde, encore cette fois ! 27 Euros de ristourne, c’est pas mal, quand même ! La vie est ce que tu en fais, chéri ! Vois un peu le soleil, au lieu de toujours remarquer la pluie. Allons !"

-"Tu as raison, ma chérie…"

6 commentaires:

  1. Juliette est une épicurienne, dirait-on.

    Mais rater des pâtes est un crime. Impardonnable.

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  2. "hâvre de paix situé dans l'arrière-train de la campagne aixoise..." l'image est saisissante, pourrais également paraitre repoussante mais l'on s'y plongerait bien, et avec délectation, tiens, finalement...

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  3. Estimé ZapPow, si vous saviez tout ce qu'elle aime...
    Quant à ce que vous nommez "ratage", je préfère parler de WATERLOO gastronomique. Car vous oubliez la sauce!

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  4. Quant à vous, lubrike mike (admirez la rime), je comprends tout à fait vos positions, étant moi-même un mâle dominant, à mes heures...

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  5. Même moi, je sais cuire les pâtes! Pour la sauce, par contre, il me faut une tendre épouse pas trop loin, ou bien un bocal…
    C'est l'auberge de la photo ? J'aimerais bien savoir pour la mettre de côté et pouvoir la reconnaître avant qu'il ne soit trop tard, au cas où nous partirions en quête d'un restau du côté d'Aix.

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  6. Rassurez vous cher coucou, cette photo n'était qu'une illustration, je n'ai pas pensé à prendre une photo de ladite Auberge "Rouge Bolognaise" (j'étais trop occupé à m'enfuir!)

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